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RD Congo : malgré l'Accord, un pays dans l'expectative

Les évêques de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) Marcel Utembi et Fridolin Ambongo, lors de la reprise de la médiation entre l'opposition et le gouvernement en place, le 21 décembre 2016.

Alors que le président Kabila est toujours là, la RDC doit de nouveau faire face à ses contradictions politiques et ses incertitudes sociales et économiques. « On a été déçus quand on a appris que Joseph Kabila allait rester au pouvoir encore pendant un an, mais bon, on s'y est fait. On observe les politiques et on verra après », soupire, un tantinet amer, Alain, un habitant de Lemba, une des communes populaires de Kinshasa. À l'évidence, bien des Congolais, à l'instar d'Alain, ont eu du mal à avaler la pilule. Car à la place d'un carton rouge, c'est une prolongation d'un an à la tête du pays qui a été accordée au président Joseph Kabila, dans le cadre de l'accord signé le 31 décembre 2016 entre l'opposition regroupée autour du Rassemblement des Forces politiques et sociales acquises au changement, présidé par Étienne Tshsekedi, et des membres de la Majorité présidentielle, sous l'égide de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco). En outre, les dernières négociations de l'accord politique portant sur « les arrangements particuliers » avançant à petits pas, la question de savoir si le Rassemblement aurait dû aller négocier avec le régime de Kabila ou non, reste posée.

« Éteindre le feu et faire passer la pilule »

Sur ce plan, Thierry Nlandu, professeur à l'Université de Kinshasa et consultant, est formel : « On était dans un processus de mobilisation populaire qui allait aboutir et mettre fin à un système. Mais ce mouvement, semblable à celui du Burkina Faso qui a chassé Blaise Compaoré, a fait peur. On a brandi le spectre du chaos et face à cette menace, toutes les forces politiques sont entrées dans le jeu. Mais les Congolais vivent le chaos au quotidien depuis des années. On veut sauver la paix, mais il n'y a pas de paix depuis vingt ans. Dans l'est de la RDC, c'est la guerre avec arme et dans l'ouest, c'est une guerre sans arme. La situation sociale est telle que personne n'est en paix. On a l'impression que l'Église catholique n'a eu pour rôle que d'éteindre le feu et de faire passer la pilule. C'est comme si cette grande puissance ne voulait pas d'un soulèvement populaire qui mettrait fin à un régime comme celui-ci. »

Pour d'autres, l'accord est une victoire de la population, du Rassemblement et de la Cenco. « C'est la première fois qu'une opposition arrive à faire plier un régime en place en Afrique centrale », relève ce professeur de médecine de l'université de Lubumbashi. Pour Francis, un analyste politique congolais, la négociation était inévitable. « Les intérêts locaux, nationaux et étrangers sont si imbriqués que la seule option qu'il fallait prendre était une solution négociée. À Kinshasa, un mouvement populaire aurait peut-être pu obtenir le départ de Kabila mais rien ne prouve que l'opposition aurait pris le pouvoir. Il est difficile d'évaluer le coût de la violence et de son bénéfice éventuel et de prévoir qui aurait pu gagner dans cette affaire. »

L'opposition choisit finalement la négociation

Pour Jean-Jacques Wondo, un analyste politique congolais, si l'opposition avait pu faire l'économie d'une négociation, elle aurait montré sa position bien avant le 19 décembre 2016. Toutefois, deux problèmes ont, selon lui, fragilisé ces négociations. Primo, ces pourparlers ont débuté trop tôt. « Kabila avait peur de l'échéance du 19 décembre et d'un soulèvement populaire. Il aurait fallu le laisser mariner jusqu'au 31 décembre, tout en sachant qu'on finirait par des négociations. Ce qui aurait permis à l'opposition de négocier en position de force », assure Wondo. Secundo, l'absence de stratégie s'est doublée d'un déficit de communication. Avant le 19 décembre, le Rassemblement a encouragé la population à descendre en masse dans la rue pour indiquer à Kabila que le respect de la Constitution est sacré. Jusqu'à cette date, le ciment entre le Rassemblement et la population était solide.

Il a commencé à se lézarder quand l'opposition a pris une autre direction. « Le 19 décembre, jour symbolique, la population s'attendait à ce que les politiciens l'accompagnent dans son mouvement, mais cela n'a pas été le cas. Le Rassemblement a opté pour la négociation, brisant ainsi le « gentleman's agreement » qu'il avait scellé tacitement avec la population et il n'a pas expliqué clairement à cette dernière le pourquoi de sa nouvelle tactique », analyse Wondo. Du coup, la population, désorientée, est dans l'expectative et ne sait plus à quels saints se vouer. « Elle se demande ce qui se passe dans les négociations en cours, et si le respect de la Constitution qui doit aboutir à l'alternance politique est bien toujours au centre des préoccupations des politiques. »

Les défis politiques face aux multiples menaces

Aujourd'hui, le Rassemblement doit relever deux grands défis que sont l'organisation des élections d'ici à décembre 2017 et l'amélioration des conditions de vie. Un pari difficile à tenir pour des raisons financières et politiques. Le budget 2017 s'élève à 4,5 milliards de dollars, soit la moitié de celui de 2016. Autant dire que le gouvernement peinera à mener à bien ces missions et devra compter sur l'aide extérieure pour financer les opérations électorales. En outre, il ne pourra guère compter sur la majorité présidentielle pour appliquer l'accord dans les temps impartis. Ni sur celle de Samy Badibanga, l'actuel Premier ministre, qui n'a pas signé l'accord du 31 décembre et ne semble pas prêt à renoncer à son poste, obtenu à la suite du premier accord négocié sous la facilitation du Togolais Edem Kodjo.

Même au sein de l'opposition, les divergences sont également de nature à ralentir le processus. Alors que la Primature revient au Rassemblement, le choix du Premier ministre et la répartition des postes ministériels font l'objet d'âpres discussions. Ce qui fait dire aux Congolais que, « comme d'habitude, les politiques privilégient leur intérêt personnel au détriment de celui de la population ». Il y a également les multiples recettes destinées à déstabiliser le pays et, au passage, à retarder le processus électoral, que ne manqueront pas de concocter les experts en anti-alternance politique. On signale la réapparition dans la province du Nord-Kivu d'éléments du tristement célèbre mouvement rebelle du 23 mars, dit M23, autrefois dirigé par Laurent NKunda et conduit aujourd'hui par Sultani Makenga, un ex-général des Forces armées de RDC.

La société civile prête à exploser

Quelle qu'en soit l'origine, tout ce qui retardera le processus électoral peut être à l'origine d'explosions sociales. « Si les élections n'ont pas lieu dans les délais prévus, ce que l'on saura rapidement, les gens risquent de se rebeller », martèle Alain. Thierry Nlandu abonde dans le même sens : « On ne sait pas aujourd'hui quand sortira le gouvernement. Une fois sorti, ce dernier devra avoir l'aval du Parlement qui est acquis à la Majorité présidentielle et qui peut tergiverser pendant des semaines avant de se prononcer. On arrivera très vite en avril. Combien de temps restera-t-il pour organiser les élections ? Du coup, constatant que rien ne se passe, la population, excédée, risque de se retourner contre Joseph Kabila, toute la classe politique, et même contre l'Église. »

Une analyse partagée par Wondo : « Quand le Rassemblement se retrouvera à la tête d'un gouvernement d'union nationale, le désaveu risque d'être total si les choses ne se passent pas comme prévu. Il portera alors la responsabilité de l'échec. La colère et toute autre manifestation de désespoir peut déboucher sur des actions ciblées contre tout ce qui symbolise le pouvoir, peu importe contre qui, car il n'y aura plus d'opposition puisque tout le monde sera au pouvoir. »

Dans ce contexte, on peut craindre que les mouvements citoyens, dont les plus célèbres sont la Lucha et Filimbi (« sifflet » en langue swahili), qui ont fonctionné jusqu'à présent en tandem avec l'opposition radicale, ne soient amenés à se radicaliser. « Constatant les limites de leurs actions de revendication pacifiques, les jeunes seront tentés d'emprunter d'autres formes de pression plus contraignantes et imprévisibles », souligne Wondo. Et ce n'est pas la menace de la prison qui va les arrêter. Certains militants l'ont prouvé en reprenant la lutte dès leur sortie de prison. Dans ce contexte, une collusion avec la grande muette, les forces armées et des services de sécurité, en partie désarmés par crainte de mutineries, n'est pas à exclure. Dans ses rangs se trouvent des laissés-pour-compte aux conditions de vie difficiles.

L'indéboulonnable Kabila

L'hypothèse d'un coup d'État militaire est peu plausible pour Francis. « Dans la périphérie du régime, il n'y a pas de miliciens d'envergure qui ont la capacité militaire de défaire l'armée congolaise. La sécurité de Kabila est assurée par des armées étrangères (Rwanda, Ouganda et Tanzanie). Au niveau interne, le mode de vie des officiers est fragile, mais il a été amélioré par les cadeaux que leur a faits Kabila en les laissant exploiter des mines et prélever des taxes. Ces officiers n'ont donc pas intérêt à le défaire », note-t-il.

Reste à savoir si les mouvements citoyens peuvent jouer un rôle politique au niveau national. Pour l'heure, ce sont des structures indépendantes, avec un leadership collégial et éclaté, parfois contesté à l'intérieur du mouvement, et qui sont composés de jeunes. Une tranche d'âge dont on ne sait toutefois plus où elle s'arrête. « Ce n'est plus les 15-25 ans mais les 15-55 ans, car depuis des années, de plus en plus de Congolais ont en commun de n'avoir jamais eu un vrai boulot durable et de vivre encore chez leurs parents après 30 ans. Ils en ont marre », signale Nlandu. C'est d'ailleurs autour des problèmes socio-économiques que les jeunes leaders ont tissé un lien avec la population. Si leurs actions permettent à la population de rester vigilante et de faire pression sur la classe politique, ces mouvements n'ont souvent qu'une assise locale avec un leadership circonscrit. Mais tout porte à croire que de nouvelles dynamiques vont se mettre en place. « Loin de rester dans un schéma figé, ces mouvements seront tentés de s'étendre et de coopter des leaders capables de devenir les porte-étendards de leurs revendications sur le plan politique à l'échelle nationale », indique Wondo. Tout dépendra donc de leur capacité à se structurer et à orienter leurs revendications vers des objectifs stratégiques.

Vers une recomposition du paysage politique

La recomposition n'épargnera pas la classe politique dans son ensemble. Du côté de la Majorité présidentielle, les contradictions apparaissent de plus en plus au grand jour. La dernière pomme de discorde est la sortie officielle, le 4 janvier dernier, de l'Union du peuple congolais engagé (UPCE) créée par Jean-Claude Kabila Kyungu, un frère cadet de Joseph Kabila. Une annonce qui fait grincer les dents de certains membres du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD). D'où les inévitables interrogations : qui sera le dauphin de Kabila ?

Son frère Zoé ? Si tel est le cas, quid des ténors du PPRD qui pouvaient reprendre le flambeau ? N'y a-t-il pas un risque de transhumance de militants du PPRD vers l'UPCE ? Et d'accaparement des ressources financières disponibles par ce dernier au détriment du PPRD ? Et l'amer constat : à quoi a servi le PPRD qui a permis l'élection de Kabila en 2006 et 2011 ? Si le positionnement de la famille Kabila en tant que dynastie se confirmait, rien n'exclut l'émergence d'une nouvelle dissidence à l'intérieur de la Majorité présidentielle. Autant de recompositions politiques à venir qui pourraient se faire au détriment du processus démocratique.

Le Rassemblement, de son côté, a bien des atouts, notamment celui de fédérer plusieurs leaderships locaux, dont celui de Moïse Katumbi dans l'ex-Katanga et celui d'Olivier Kamitatu dans l'ex-Bandundu, auquel s'ajoute le leadership historique de Tshisekedi, président de l'Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS). Ce qui lui donne une couverture nationale. Mais des inconnus demeurent. Actuellement à l'étranger et inculpé pour « atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l'État », l'ex-gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, la bête noire de Kabila, pourra-t-il rentrer au pays et se présenter à la présidentielle ? Si ce n'est pas le cas, quel sera le candidat de l'opposition ? Le principe d'une candidature unique de l'opposition survivra-t-il aux éventuels combats d'ego ? Mais le Rassemblement a aussi de gros défis. Il faut très vite que la population légitime son gouvernement, l'accord signé le 31 décembre 2016 ayant été davantage obtenu sous la pression de la communauté internationale et légitimé par l'extérieur que le résultat d'une demande populaire. Outre les défis liés à la gouvernance, dans un gouvernement d'union nationale où les ministres de la Majorité présidentielle ne lui feront pas de cadeaux, il devra affiner sa stratégie et mieux communiquer sur ses actions et les enjeux.

Changement

Dans cet avenir incertain, aux contours flous, où les acteurs politiques restent peu contrôlables, une certitude demeure. Les principes démocratiques, articulés autour de la lutte pour l'alternance politique et la défense de la Constitution, qui ont fondé les dynamiques socio-politiques autour du Rassemblement, n'ont pas disparu. La population, qui s'est approprié ce processus et ses valeurs, veille au grain. « L'aspiration au changement restera constante même si on peut s'attendre à des phases de flottement », pense Wondo.

Dans ce contexte, la marge de manœuvre de Kabila n'est pas aussi importante qu'on pourrait le croire. Ni celle du Rassemblement. Car les lignes bougent en permanence et la véritable opposition n'est plus incarnée par les partis politiques mais par une jeunesse dont le mécontentement et les aspirations au changement sont immenses. Reste à savoir quelle force ou quelle fédération de forces sera capable de récupérer ses revendications et d'arriver à asseoir l'alternance politique.

 

Source : www.lappelafricain.com 
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